Le trail du Verbier Saint-Bernard by Bruno
Récit écrit par Bruno Bourguignon
Voilà trois jours que je suis en Suisse, au repos total avant d'affronter ces montagnes (avec sa dizaine de sommets de 2300 m à 2826 m) et une météo qui promet d'être chaude. Je retrouve quelques connaissances au départ à Verbier, des membres de mon club de trail, André, Hugo, Bruce et également mon kiné sportif Andréa.
22 heures, les fauves sont lâchés. Je me suis composé un programme de course en fonction de mes capacités et de mes expériences passées. Si tout se passe comme prévu, je bouclerai cette course en +- 36 heures. Mais en ultra les choses se passent rarement comme prévu... Je démarre en rythme avec du Vivaldi (Stabat Mater Nisi Dominus) dans les oreilles afin de permettre à ma vieille carcasse de s'échauffer et d'arpenter le premier objectif se trouvant au sommet des pistes de ski de Verbier (Savoleyres, 2344 m). Les 1189 m d'ascension seront atteints en un peu plus de deux heures. Nous assistons au ballet des frontales dans la nuit.
Le groupe des 237 coureurs s'est rapidement éclaté. Une centaine de trailers ont pris la tête, nous ne les reverrons plus. Les autres s'égrènent en chapelet en fonction de leurs vitesses et objectifs. Je suis passé 141ème au premier ravito, 10 minutes en avance sur mon programme. S'ensuit une énorme descente de 17 km (D-1830 m). Ces dernières semaines d'entraînement, je me suis spécialement focalisé sur le renforcement de mes quadriceps afin de pouvoir mieux aborder ces descentes on ne peut plus techniques. Je charge la playlist "Section d'assault" que je n'ai plus écoutée depuis longtemps. C'est parti, seul dans la nuit. Comme d'habitude, une fois que les chemins sont praticables, on a tendance à accélérer au lieu de gérer sur le long terme...
J'arrive au ravito 2 avec 40 minutes d'avance. Mes cuisses le paieront plus tard. Je remplis mes flasques d'eau, bois un petit bouillon de poulet et repars direction Champex (7,5 km pour 790 m de D+).
J'arrive vers 4h du matin au ravito de Champex en 135ème position avec plus d'une heure d'avance sur mon programme. J'y retrouve Bruce qui n'a pas la tête des grands jours. Nous partageons un bouillon et il démarre. Je suis en transpiration totale, je vais attraper la crève avec ce vent froid qui souffle. Un gros morceau devant moi, 9 km avec 1426 m de D+ pour arriver au sommet de la course à 2826 m (Cabane d'Orny). La montée est interminable mais superbe. Il fait jour lorsque je quitte les derniers arbres, j'arrive dans la partie minérale de la montagne. À présent, dans les descentes, je ressens une douleur sur la face intérieure de la cuisse à côté du genou droit. Je peste sur ce problème musculaire alors que mes genoux et mes chevilles me laissent en paix. Une nouvelle fois, il va falloir m'arracher pour tenir mes objectifs.
J'ai encore 45 minutes d'avance au sommet. Je décide de prendre mon temps, je change de chaussettes, je me badigeonne de NOK. Bruce arrive à son tour. Un petit selfie en souvenir et il repart aussitôt. Il est 7h30. Sous un ciel bleu azur et un soleil tapant, j'entame la très longue descente technique de 8,5 km (D-1636 m). Comme redouté, ma cuisse droite est très douloureuse dans les pierriers en pente. Je vais devoir ralentir l'allure. Les mauvais souvenirs de l'année passée me reviennent en mémoire. C'est dans cette même descente que j'ai dû abandonner, mon genou m'ayant lâché. Je ne veux absolument pas envisager cette option après seulement 50 km de course! Je suis bien décidé à rattraper le temps perdu en descente lorsque je serai sur du plat ou en montée. Me voilà une nouvelle fois en mode guerrier.
J'arrive à La Fouly (km 60,5) un peu avant midi sous un soleil de plomb. Je suis 144ème avec encore 12 minutes d'avance sur mon programme maisje sais que ça va devenir compliqué de le tenir. Je retrouve Bruce qui ne semble pas en meilleur état que moi.Je m'enfile du bouillon, du fromage, un peu de charcuterie avant de le quitter.
Le prochain segment est très long (14,3 km D+1329 m) et très exposé au soleil car nous montons dans les alpages jusqu'au sommet du Grand Saint-Bernard. Après un peu plus de 4h de montée, j'arrive au col du Grand Saint-Bernard. Le temps est horrible, le vent glacial règne. Pourtant, je n'ai pas envie de sortir la veste. Je suis à la moitié du parcours, j'ai toujours 8 minutes d'avance sur mon timing, mon classement reste inchangé.
Bourg-Saint-Pierre, la base de vie (km 89) est le prochain objectif. Il faudra d'abord franchir le col des Chevaux (altitude 2714 m) avant d'attaquer une interminable descente (D-1264 m). À ma douleur à la cuisse, ce sont ajoutés un ongle noir au petit orteil gauche et des ampoules au pied droit. Tout ceci m'empêche d'atteindre ma vitesse de croisière habituelle en descente. Juste avant le ravito, Hugo me dépasse, il fait la course en mode détente comme entraînement pour une compétition ultérieure.
19h35, j'arrive à la base de vie après 89 km de course. Classement inchangé (144ème) mais je dépasse mon objectif de 20 minutes. Chantal, la propriétaire du gîte dans lequel je loge est venue m'accueillir avec des amis. Pour la première fois, je lui fais part de mon intention d'abandonner car il reste encore 50 km et je ne suis pas bien du tout. Elle me remonte le moral et me pousse à continuer. Hugo et Bruce sont là. Bruce et moi n'avons pas trop le sourire. Je récupère mon sac de délestage et j'aimerais tant prendre une douche et me changer complètement. Pas de douche, j'utilise les lingettes bébé de Hugo pour me rafraîchir un minimum. Je prends mon temps et refais mon sac correctement. J'enfile des chaussures un peu plus grandes soulageant directement mes pieds. Je recharge mon Iphone, mange de mauvaises pâtes, du fromage et du jambon. Je décide de faire quelque chose que je n'aime pas dans la pratique du sport, prendre un antidouleur pour atténuer mes peines. J'ingurgite également un booster et un chewing-gum à la caféine.
Je sais que la nuit est mon amie me donnant la rage. Hugo et Bruce décident de se reposer, je les quitte direction le Col de Mille (11,7 km D+1020m). Je suis resté longtemps à cette base de vie mais il ne fait pas encore nuit. Playlist "chansons françaises" et en avant. Le chemin est large, agréable et monte de façon régulière. J'ai déjà la frontale sur la tête en préparation de la nuit. Un coureur au loin deviendra ma cible. Il est rapide en montée, il ne court pas dans les parties plates. Après 1h30, je le rattrape et nous cheminons ensemble à la lueur de nos frontales. Je sens qu'il a un coup de mou et j'en profite pour filer vers le ravito au sommet. Il est minuit. L'antidouleur a fait le job, je suis tout guilleret. Je gagne quelques places au classement, je suis 130ème mais perds un peu plus d'une heure sur mon programme initial, ceci n'a plus d'importance, l'objectif étant de terminer au mieux.
Mon compagnon de route décide de jeter l'éponge, il ne se sent plus en sécurité dans cet environnement hostile. Je le remercie pour cette ascension partagée. Je m'élance seul dans la nuit noire alors qu'Hugo arrive au ravito. Ce segment est une étape de transition avant d'attaquer un important col. Au loin, j'aperçois la lumière d'une frontale, ce sera mon prochain objectif. Après un long moment, je rejoins la lumière, je tombe sur une charmante jeune femme un peu perdue. Je lui propose de cheminer ensemble jusqu'au prochain ravito. Elle souffre d'un TFL aux deux genoux mais c'est une guerrière et ne compte pas abandonner. Nous arrivons finalement à la cabane Brunet où la température est glaciale. Nous sommes exténués et restons une bonne heure au chaud dans ce refuge. Une gentille dame me prépare deux cafés me permettant de rester bien éveillé. Après un dernier petit bouillon bien chaud, nous repartons.
Deux solides cols nous attendent. Le col des Avouillons (2649 m) et la cabane de Panossière (2641 m) après avoir traversé l'impressionnante passerelle de Comboissière. Le jour levé, nous arrivons au ravito (km 115). Je suis 118ème au classement mais notre très long stop au ravito précédent a anéanti mon objectif de temps (+3h15). À cet instant, je sais que plus rien ne devrait m'empêcher d'atteindre l'arrivée vu l'avance dont je dispose sur la barrière horaire. Une longue descente de 11 km D-1587 m m'attend. Je quitte ma compagne et promet de l'attendre à l'arrivée. Je connais cette descente, je sais qu'il me faudra plus de 3h pour en être quitte.
Je passe outre mes douleurs et je cours un maximum afin de gagner du temps. Je rejoins deux autres coureurs et nous faisons toute la descente ensemble. Nous arrivons à 9h à Lourtier (km 127), le fameux départ du mur qui mène à la Chaux, le dernier sommet avant la descente finale sur Verbier. Je mange un risotto. Je profite de la présence d'une infirmière pour soigner mes ampoules et lui demander un dernier antidouleur afin de terminer de façon plus confortable.
9h30, c'est parti pour 5,7 km de montée ultra raide (D+1212m) en plein cagnard (il doit faire 28 degrés à l'ombre). Je prévois 3h de grimpe mais je mettrai finalement 2h30 pour rejoindre la Chaux (km 133). Je suis actuellement 116ème sur 237 partants, 3h14 au-dessus de mon objectif temps. Je suis très heureux de terminer et constate une nouvelle fois que la course ultra est impitoyable malgré de longs mois de préparation. Rien n'est prévisible, un petit bobo peut changer tout le déroulement de la course.
Il me reste une descente casse pattes de 7 km avant de franchir la ligne d'arrivée. Je descend très prudemment car il y a beaucoup de monde (touristes, VVT, autres courses). Hugo me dépasse à quelques km de l'arrivée et Bruce est encore plus loin. Je n'ai plus les jambes pour suivre Hugo, je reste prudent jusqu'à la fin. Je rentre enfin dans l'étuve de Verbier et les encouragements fusent de toutes parts. Apparemment le public est impressionné par tous ces fous qui courent 140 km de jour comme de nuit dans leurs montagnes.Je range mes bâtons, je referme correctement mon t-shirt, je fais un beau sourire malgré les douleurs et je cours à un bon rythme vers l'arche finale sous les applaudissements.
Voilà encore un de fait en 39h44 (3h30 au-dessus de mon objectif). Merci pour tous les encouragements des Crabes et surtout de Pascale qui avait misé sur le bon cheval (âne). Merci à Bruce et Hugo pour avoir partager cette course. Bravo à la jeune femme de Seattle qui m'a accompagnée un bout de chemin et qui est finisher. Vivement que les jeunes du club prennent le relais sur des ultras.